
Ce petit conte est né comme un exercice de détente, écrit presque en écriture automatique, soir après soir avant de m’endormir. J’avais appelé ça un « reverse dream journal » : au lieu de noter mes rêves au réveil, je me laissais porter par l’imaginaire juste avant de sombrer dans le sommeil.
Quand je me suis relue plus d’un mois plus tard, je ne me souvenais que des grandes lignes… plusieurs détails m’étaient complètement sortis de la tête ! J’ai eu l’impression d’éditer le texte de quelqu’un d’autre, et j’ai redécouvert l’histoire en même temps que vous allez la découvrir.
J’espère que vous trouverez Clo la pixie aussi attachante et mystérieuse que moi. 🌿🧚
Il était une fois une petite pixie des bois qui s’appelait Clo. En fait, elle ne portait aucun nom, puisque les pixies sont dénuées de langage oral, voyez-vous. Mais « Clo », ça évoque un peu le bruit d’une goutte de pluie tombant sur le sol humide, couvert de feuilles, dans la forêt qu’elle habite. Et comme les soirs de pluie sont ses préférés, c’est sans doute un nom qu’elle aurait aimé porter.
Son apparence est à la fois particulière… et tout à fait banale. Loin des images de fées qu’on se fait d’ordinaire, son petit corps fragile ne respire en rien la beauté. En vérité, on pourrait facilement la confondre avec une brindille ou un morceau d’écorce. Sa taille avoisine celle d’un pouce, mais sa silhouette est si délicate que ses membres ressemblent à des aiguilles de pin, et sa « peau » est rugueuse comme celle des arbres dans lesquels elle se dissimule.
Son visage se fond dans l’ensemble, à peine perceptible, si ce n’est pour ses deux petits yeux noirs, ronds comme des billes, gros comme des têtes d’épingles, dépourvus de paupières. À première vue, on pourrait croire qu’elle n’a pas de bouche. Mais si elle sourit — ce qui est rare — elle dévoile une rangée de dents fines comme des aiguilles, bien trop nombreuses et acérées pour ne pas mettre mal à l’aise le premier venu.
Quand il pleut, Clo adore observer les gouttes d’eau éclater contre les pierres, bien à l’abri sous le couvert des feuilles mortes. À l’impact, elles explosent en myriades de perles liquides, qui ruissellent ensuite dans les crevasses et les interstices du paysage. Elle écoute la symphonie de l’averse se moduler au gré des vents, tambourinant tantôt sur son abri de fortune, tantôt sur les souches, les pétales, ou les objets abandonnés par les humains. Quand la pluie devient rageuse, Clo grimpe parfois sur sa souche d’arbre préférée.
De là-haut, elle observe la forêt en pleine effervescence. Les vers de terre émergent de leurs cachettes, les champignons s’ouvrent en silence, les escargots déménagent leurs maisons. Tout cela fascine la petite pixie. Mais ce qu’elle attend le plus, c’est l’après-pluie. Car dans les jours qui suivent, la chaleur réveille les charognards. Les asticots fraîchement éclos sont faciles à attraper, et leur chair juteuse est un véritable délice. Clo aime les sentir éclater sous la dent — un mets d’été, offert par une terre généreuse. Mais elle sait ne pas s’y attarder : la saison chaude cède tranquillement sa place à la moisson, et déjà se profile le labeur de l’automne.
Clo a un ami escargot. Ensemble, ils arpentent les hautes herbes du champ voisin. Son escargot s’appelle Zhou, et chaque année, un nouveau Zhou doit être apprivoisé pour remplacer le précédent. Les escargots sont peu loquaces, mais d’excellents destriers, pour peu qu’on n’ait pas de rendez-vous. Lorsque Zhou s’arrête pour brouter un brin d’herbe, Clo en profite pour explorer. On trouve parfois des merveilles, parmi les blés. De tous les trésors qu’elle a ramenés, son préféré est une vieille pièce de monnaie rouillée. Elle possède aussi un bouton, un dé, un trombone et une bille. Un jour, elle a failli rapporter un morceau de verre brisé, mais une coupure évitée de peu l’a convaincue de le laisser là. Clo aime imaginer à quoi ces objets ont bien pu servir… mais comme elle n’a jamais quitté son bois, elle n’en a pas la moindre idée.
Parfois, lorsque Zhou broute, elle reçoit la visite de Zara la libellule. Zara a toujours une histoire à raconter. Elle a tout vu — ou du moins, elle le prétend — et ses récits sont aussi étourdissants que ses acrobaties.
Clo aime beaucoup Zara. D’abord, elle lui envie sa liberté de voler où bon lui semble. Clo, elle, n’a jamais vu plus loin que son bosquet et le champ d’à côté. Elle chérit la sécurité de son territoire, mais rêve parfois d’aventure, de vents fous et de découvertes. Elle admire aussi les ailes de son amie, qui lui rappellent le joyau de sa collection : une boucle d’oreille oubliée, en verre Swarovski étoilé. Clo ne se lasse jamais de la faire tournoyer, fascinée par la lumière qui s’y réfracte en milliers de couleurs. Un jour, un corbeau voisin avait tenté de la lui voler, mais Clo, grâce à ses petites dents redoutables, lui a fait comprendre qu’il valait mieux passer son chemin. Depuis, elle prend soin de bien dissimuler ses trésors à l’abri des regards.
Clo rêve parfois, les yeux perdus vers l’horizon. Elle se demande s’il existe autre chose pour elle, au-delà de sa forêt. Pourtant, elle n’est pas ambitieuse. Son univers est minuscule, mais riche. Cinq fois les saisons ont tourné depuis sa naissance, et chaque cycle a apporté son lot de charmes et de mésaventures. Un printemps, le ruisseau a débordé, inondant sa tanière et l’obligeant à fuir en catastrophe. Une autre fois, emportée par mégarde sur une abeille en plein vol, elle s’était écrasée plusieurs mètres plus loin. Depuis, elle évite les hauteurs.
Dernièrement, Clo se sent plus lasse. Elle explore moins loin avec Zhou, écoute moins longtemps Zara. Elle préfère rester près de sa souche et passer des heures à contempler son reflet dans les flaques. Son teint est plus terne, et ses doigts, jadis si vifs, manquent souvent leur proie. Chaque soir, en fermant ses yeux brillants, elle se demande si c’était son dernier coucher de soleil.
Chut. Elle s’est endormie. Ne la réveillez pas.
Ce matin, Clo a eu du mal à quitter son abri. Le printemps est revenu, mais il semble la vider plus qu’il ne la nourrit. Au fond d’elle, elle sent que la fin approche. Pourtant, elle rassemble ses forces et s’extirpe lentement de sous sa branche. D’un pas hésitant, elle entame l’ascension du petit talus qui surplombe sa demeure. Aucun Zhou ne l’accompagne cette année : les jeunes escargots sont encore trop petits pour être montés.
Haletante, elle atteint enfin le sommet et s’assied. De là, elle contemple son royaume : le ruisseau gonflé par la fonte, le pré qu’elle arpente, et derrière elle, la forêt, toujours vigilante. Clo se sent comblée. Elle ferme les yeux un instant, comme pour savourer l’instant… mais la lueur de ses pupilles ne revient pas. La petite pixie s’est affaissée. Son temps parmi nous est révolu.
Un escargot intrépide avance, plus loin qu’à son habitude. Sur sa coquille dansent les promesses chaudes de l’été. Parvenu au sommet du monticule, il remarque une silhouette minuscule, recroquevillée. Elle semble desséchée… mais en y regardant de plus près, ses petits pieds se sont enfoncés dans la terre, et de jeunes feuilles bourgeonnent à l’extrémité de ses bras. Au sommet de sa tête, une fleur s’ouvre doucement.
Poussé par la curiosité, le petit hélix s’approche. Alors, au cœur de la corolle épanouie, la plus minuscule des silhouettes entrouvre de grands yeux noirs et étincelants, fixant avec douceur les antennes de son nouvel ami.
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